La carte de score paludisme du Rwanda permet un engagement communautaire fondé sur des données probantes afin de remédier aux goulets d’étranglement de la lutte contre le paludisme

Auteur : Dr. Aimable Mbituyumuremyi - Responsable de la MOPDD (Malaria and Other Parasitic Diseases Division, ou Division du paludisme et des autres maladies parasitaires), Centre biomédical du Rwanda

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Contexte

Ces dernières années, le Rwanda a réalisé d’énormes progrès dans la réduction du fardeau du paludisme. Entre 2015-17 et 2022-23, il y a eu une réduction de :

  • l’incidence du paludisme, qui est passée de 409 à 47 cas pour 1 000 habitants
  • la prévalence de la maladie chez les enfants de moins de 5 ans, de 7,2 % à 0,6 %
  • le nombre de décès dûs au paludisme, de 536 à 51

Plusieurs interventions, déployées stratégiquement, ont contribué à ce succès, notamment :

  • des interventions de lutte antivectorielle soutenues et fondées sur des données probantes, telles que la pulvérisation à effet rémanent à l’intérieur des habitations et l’introduction de nouveaux types de moustiquaires imprégnées d’insecticide, comme les moustiquaires PBO (pyréthroïde-butoxyde de pipéronyle) et les moustiquaires IG2 (Interceptor G2)
  • la prise en charge à domicile du diagnostic précoce et du traitement du paludisme par des agents de santé communautaire (ASC)
  • la mise en œuvre d’activités de changement social et comportemental par l’intermédiaire d’organisations de la société civile (OSC), d’ONG locales et d’organisations confessionnelles (OC)
  • l’utilisation de drones pour le larvicide
  • l’amélioration de la surveillance de routine, du suivi, de l’évaluation et de l’utilisation des données pour orienter la mise en œuvre des interventions
  • la stratification infra-nationale pour guider la prioritisation des interventions

La carte de score paludisme du Rwanda a été élaborée en 2017. En 2019, des indicateurs relatifs aux maladies tropicales négligées ont été introduits dans le carte de score pour une approche plus intégrée du suivi des progrès réalisés dans la lutte contre les maladies. La carte de score paludisme et MTN est l’un des principaux outils utilisés par la Division du paludisme et des autres maladies parasitaires (MOPDD) et ses partenaires afin d’étudier régulièrement les progrès réalisés, identifier et traiter les goulets d’étranglement. 

Exemple de carte de score paludisme et MTN intégrée, janvier-mars 2024

En 2020, la MOPDD a formé des membres de cinq organisations de la société civile (OSC) à l’utilisation de la carte de score. L’objectif de la formation était de renforcer les capacités des OSC dans l’utilisation des données de routine afin de guider la planification, la mobilisation des ressources, la mise en œuvre des interventions de changement de comportement social et la mobilisation communautaire. Les OSC soutiennent la mise en œuvre de la lutte contre le paludisme dans les cinq provinces du Rwanda.

Chaque OSC est affectée à une province, comprenant toutes ses zones administratives respectives (districts, secteurs, cellules et villages). Les OSC sont principalement chargées de mener des activités visant à modifier les comportements sociaux afin de soutenir la mise en œuvre et l’adoption des interventions au niveau des secteurs, des cellules et des villages.

Carte montrant la distribution des OSC déployées à travers les cinq provinces du Rwanda

Opérationnalisation de la carte de score paludisme et MTN par les OSC

La MOPDD est chargée d’alimenter la carte de score et de la communiquer chaque mois aux OSC. Au niveau infra-national, la carte de score est également partagée avec les responsables de la santé du district et du secteur, ainsi qu’avec les directeurs et le personnel des hôpitaux et établissements de santé. La carte de score est examinée avec les parties prenantes aux différents niveaux et des mesures correctives sont convenues afin de remédier aux goulets d’étranglement identifiés.

Les OSC discutent de la carte de score avec les agents de santé communautaires (ASC) et d’autres acteurs au niveau de la communauté. Sur la base des discussions qui ont eu lieu lors des réunions d’examen des fiches d’évaluation, les OSC demandent des fonds au ministère de la Santé, par l’intermédiaire de la MOPDD, afin de mettre en œuvre des actions visant à améliorer les indicateurs, en ciblant principalement les secteurs et les indicateurs sous-performants (en rouge sur la carte de score) et ceux qui doivent encore être améliorés (en jaune sur la carte de score).

Les OSC utilisent la carte de score pour convenir d’actions conjointes avec les chefs et les membres de la communauté, ainsi qu’avec les autorités locales, et les réaliser. Lors des réunions mensuelles, les progrès réalisés par rapport aux actions précédentes sont évalués et de nouvelles actions sont lancées si nécessaire. La carte de score est également utilisée par le MOPDD pour évaluer les performances des OSC et, à ce titre, pour renforcer la responsabilité des contrats, des activités et des objectifs convenus

Les OSC discutent de la carte de score avec les agents de santé communautaires (ASC) et d’autres acteurs au niveau de la communauté

Exemples d’engagement communautaire et d’actions déclenchées par la carte de score

Voici des exemples de problèmes communautaires identifiés par la carte de score et traités conjointement par les OSC et les communautés avec le soutien d’autres parties prenantes.

Lutte contre la mauvaise utilisation des moustiquaires dans le district de Nyamasheke

En mai 2022, la carte de score a montré que six secteurs du district de Nyamasheke étaient sous-performants pour l’indicateur « nombre de cas de paludisme ». Ces secteurs figuraient parmi les dix secteurs présentant le plus grand nombre de cas de paludisme dans le pays. L’enquête a révélé que les moustiquaires imprégnées d’insecticide étaient utilisées pour la pêche au lieu de servir de protection contre le paludisme, ce qui entraînait une exposition plus élevée que prévu à l’infection paludéenne.

En réponse, les coopératives de pêcheurs ont été formées aux dangers du paludisme et à l’importance de l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide pour prévenir l’infection. Après cette formation, les coopératives de pêcheurs, soutenues par l’OSC Caritas Rwanda, les dirigeants locaux, le personnel des centres de santé et les agences de sécurité, ont réalisé une opération connue sous le nom de code « Opération Supanet » afin d’identifier les membres de la communauté qui utilisent des MII pour pêcher, et les sensibiliser à l’utilisation correcte des MII. Cette activité a été suivie par des visites à domicile des agents de santé communautaires pour vérifier et conseiller sur l’utilisation correcte des MII.

Ces efforts ont contribué à la diminution des cas de paludisme de 106 pour 1 000 dans l’exercice 2021-22 à 76 cas pour 1 000 habitants dans le district de Nyamasheke.

Gestion communautaire des sites de reproduction des moustiques dans le secteur de Rubavu

‘ISAHA Y’ISUKU’ (« heure de nettoyage »)

Une augmentation du nombre de cas de paludisme dans le secteur de Rubavu, dans le district de Rubavu, a été observée par le biais de la carte de score en 2022. Une analyse et une discussion approfondies ont montré que cette augmentation était due aux eaux stagnantes provenant de la colline de Rubavu.

Pour résoudre ce problème, la population locale a introduit l’ ISAHA Y’ISUKU » (« heure de nettoyage »), qui a lieu tous les lundis et jeudis de 7h à 8h dans le secteur de Byahi. Les activités comprenaient des travaux visant à :

  • éliminer les eaux stagnantes
  • sensibiliser les membres de la communauté aux activités d’assainissement et d’hygiène
  • sensibiliser les membres de la communauté à d’autres mesures de prévention du paludisme, y compris l’utilisation correcte des moustiquaires imprégnées d’insecticide

Cette pratique a été soutenue par Caritas Rwanda et adoptée par tous les secteurs dans le district de Rubavu.

Mise en place de collaborations intersectorielles afin de contrôler les gîtes larvaires dans les districts de Rubavu et de Kamonyi

Après avoir sensibilisé au problème de l’écoulement de l’eau de la colline de Rubavu et à la création de sites de reproduction des moustiques en raison de la stagnation de l’eau, le gouvernement local du secteur de Byahi et les membres de la communauté, soutenus par Caritas Rwanda, ont mobilisé les ressources des ménages de cinq villages (Gafuku, Mubuga, Rebero, Kitarimwa et Karukogo) pour construire des routes communautaires afin d’améliorer l’écoulement de l’eau et de soutenir un développement plus large. Le gouvernement national — par l’intermédiaire du district de Rubavu — a contribué à hauteur de 100 000 dollars à l’initiative pour la construction de routes d’une longueur maximale de 8,5 kilomètres. Cette initiative a permis de réduire le nombre de cas de paludisme de plus de 3 000 à 38 cas par mois sur une période de trois mois.

Le secteur de Mugina, dans le district de Kamonyi, a connu le plus grand nombre de cas de paludisme dans le district pendant plusieurs mois en 2022. Le Rwanda Interfaith Council for Health (RICH, ou Conseil inter-religieux pour la santé), l’OSC responsable de la mise en œuvre du changement social et comportemental en matière de paludisme dans le district, en collaboration avec les dirigeants locaux et les travailleurs de santé, a effectué des visites sur le terrain pour identifier les raisons de ce nombre élevé de cas et a découvert de nombreux sites de reproduction de moustiques autour des mines, ce qui entraînait une forte exposition au paludisme parmi les travailleurs miniers.

Avant cela, nous étions confrontés à de nombreux cas d’employés qui étaient absents pour cause de maladie, ce qui affectait sérieusement notre travail. Nous avons donc décidé de nous assurer que tout notre personnel possède ces connaissances et nous les avons également partagées avec d’autres membres de nos coopératives travaillant dans le même domaine. Grâce à l’engagement de chacun dans la pratique de ces comportements positifs, nous sommes heureux de constater que le paludisme est réellement en voie d’éradication dans cette région.

Diane Mukakalisa, propriétaire d’un des sites miniers du secteur de Mugina

Après avoir été formés par le RICH, les propriétaires des sites miniers de Kamonyi ont partagé les connaissances acquises avec leur personnel et leur ont conseillé d’éduquer leurs pairs afin de motiver la communauté à éliminer les sites de reproduction des moustiques et à mettre en pratique d’autres mesures de prévention du paludisme, y compris l’utilisation de répulsifs contre les moustiques sur le lieu de travail. Cette action a contribué à réduire l’incidence du paludisme à moins de 100 cas pour 1 000 dans tous les secteurs des districts de Kamonyi au cours de l’exercice 2023-2024 par rapport à l’exercice 2022-2023 (Figure 3).

Conclusion

Le Rwanda utilise la carte de score paludisme et MTN pour institutionnaliser la prise de décision et l’action basées sur les données à tous les niveaux de la lutte contre le paludisme. L’utilisation de la carte de score par les organisations de la société civile pour identifier les goulets d’étranglement au niveau communautaire et sectoriel et mobiliser un engagement communautaire et multisectoriel efficace a donné lieu à des actions et des résultats à fort impact. L’utilisation de la carte de score en tant qu’outil simple mais complet pour communiquer le statut de la lutte contre le paludisme à toutes les parties prenantes continuera à jouer un rôle important à mesure que le Rwanda progresse vers l’élimination du paludisme.